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Malheur à celui qui bâillonne son peuple

« Nous sommes le 3 janvier 1966, six ans après l’accession à l’indépendance de la Haute-Volta, pays dirigé par Maurice Yaméogo, successeur du lion du RDA Daniel Ouezzin Coulibaly, parti trop tôt. En ce premier lundi de l’année 1966, le président est retranché dans son palais, à l’extérieur le peuple gronde, le peuple prend le pouvoir… »

En 1965 Maurice Yameogo est réélu à la tête de la Haute-Volta avec 99.98 % des voix. Au sein du pouvoir, on célèbre cette victoire avec faste. Loin des murmures d’un peuple qui commence à perdre patience face à un pouvoir arrogant qui, du haut de son piédestal, le méprise et oublie trop souvent de qui il tient sa légitimité. Les jours qui suivront l’euphorie de la victoire seront  fatals au président Maurice Yaméogo.

En effet, cinq ans après l’octroie de l’indépendance, la Haute-Volta est dans une situation économique dramatique, les finances publiques sont au plus mal et les comptes de l’Etat accusent un déficit de 100 millions de francs, pour un budget d’à peine 10 milliards. Face à cette situation, le pouvoir, déjà très critiqué au sein de la population, décide de faire voter un budget d’austérité qui prévoit une réduction de 20% du salaire des fonctionnaires voltaïques. Cette mesure va sonner le glas du pouvoir de Maurice Yaméogo.

Les syndicats s’opposent à cette mesure et se mobilisent sous l’impulsion de l’un de leurs leaders, Joseph Ouedraogo, alors dirigeant de la confédération africaine des travailleurs chrétiens.

Le 28 décembre 1965, suite aux travaux de l’assemblée sur le budget d’austérité, les syndicats demandent à rencontrer le président ; celui-ci refuse et confie cette tache à son ministre de l’intérieur. La rencontre qui s’en suit est houleuse et se mue en dialogue de sourds, les positions restent figées. Au sortir de cette réunion face à l’entêtement du gouvernement les syndicats décident de porter leurs revendications dans la rue à la faveur d’une grande manifestation, programmée pour le 3 janvier 1966.

Alors en voyage chez son voisin ivoirien, le président Maurice Yaméogo décide de rentrer deux jours avant la marche. Il interdit la marche du 3 janvier, déclare l’état d’urgence, toutes les manifestations et grèves sont déclarées illégales, et la menace du licenciement plane sur tous les fonctionnaires qui souhaiteraient manifester. L’armée est mobilisée : le président est prêt à entamer un rapport de force avec les syndicats. La date du 3 janvier approche, syndicats et gouvernement restent sur leurs positions, le début de l’année 1966 s’annonce tendu dans un pays où l’exaspération se fait  grandissante.

 Cette Haute-Volta qui décide de se révolter ce lundi 3 janvier est un pays bâillonné, où le jeu politique se résume à un seul parti, l’UDV-RDA, dirigé par le président. Un pays où les leaders qui osent s’opposer au régime sont embastillés, un pays où les mouvements d’opposition sont contraints d’exister dans la clandestinité, un pays où tous les pouvoirs sont accaparés par un seul homme, un pays où le voltaïque peine à trouver de quoi subsister, un pays où le murmure de la révolte se fait de plus en plus insistant et assourdissant.

En ce premier lundi de l’année 1966, les syndicats bravent l’interdit et sont dans la rue pour porter leurs revendications. Ils sont soutenus par la population, emmenée par les leaders de l’opposition clandestine dont le MNV du professeur Joseph Ki-Zerbo et sa femme. Ils sont plus de 100 milles Ouagalais à protester ce jour là dans les rues d’une ville en ébullition. De Gounguin à Tampouy en passant par Tanguin et Dagnouin le peuple se lève et fait face à son destin.

Cette manifestation contre le budget d’austérité se transforme rapidement en révolte populaire. Les manifestants réclament désormais du pain, de la démocratie mais surtout la démission du président. Le peuple s’amasse devant le palais présidentiel et attend que le régime autocratique de Maurice Yaméogo tombe. Celui-ci, retranché dans son palais avec ses ministres, sent le vent tourner. Il a dans ses mains tous les attributs du pouvoir mais se retrouve démuni et affaibli face à un peuple obstiné et  déterminé.

Au sein du palais les tractations sur le sort du président débutent. Le lieutenant Sangoulé Lamizana, alors chef d’état major, est présent lors de ces tractations. L’Eglise Catholique alors très influente en Haute-Volta refuse de porter secours au président. Le président se retrouve esseulé, l’armée de son coté se rend à l’évidence : elle ne peut rien face à la détermination du peuple.  Dans un dernier sursaut pour sauver son pouvoir, Maurice Yaméogo souhaite revenir sur sa décision de réduire les salaires mais il est déjà trop tard. Dans la foule amassée dans les rues de Ouagadougou le slogan « l’armée au pouvoir ! » revient de plus en plus. Maurice Yaméogo comprend alors qu’il vient de perdre son pouvoir. Dans la soirée, il annonce sa démission au cours d’une allocution radio diffusée  et annonce que le nouveau dirigeant de la Haute Volta est désormais le lieutenant Sangoulé Lamizana, alors chef d’état major de l’armée nationale.

 Ce 6 janvier le peuple de haute-Volta vient de faire tomber en un jour un pourvoir qui se croyait invulnérable. En un jour le peuple de Haute-Volta a donné un signal fort à l’Afrique. Maurice Yaméogo ne sera pas le seul à subir les foudres d’un peuple qui très tôt avait compris que seule la lutte libère.

Aujourd’hui plus que jamais nous devons nous souvenir et ne plus jamais oublier que tout au long de son histoire les habitants du pays des hommes intègres ont toujours su se lever pour leur liberté et leur dignité.

Je suis un homme intègre.

Nous sommes des hommes intègres.

Que l’Afrique retienne le nom de ses héros.

NJA

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Auteur·e

njaone

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