Chronique d’une décennie que l’on croyait perdue (2000-2010)
En Côte d’Ivoire la décennie 2000-2010 semble être celle des pleurs et des larmes. Le bruit des armes a remplacé le chant des oiseaux, la poudre des armes a remplacé la poussière des rues. C’est dans cette atmosphère de terreur et de déclin que le génie ivoirien va se manifester avec un éclat sans pareil. Pendant 10 ans sous la menace des balles, Abidjan influencera l’Afrique et même le monde. C’est des plus grandes tragédies que naissent les plus belles inspirations. Retour sur cette Côte d’Ivoire qui gagne.
Soft Power
En 2002 au plus fort de la crise une petite production télévisuelle ivoirienne créée et scénarisée par la talentueuse Akissi Delta va faire le bonheur des ivoiriens. Tous les dimanches soirs à 19h30 la RTI (radiotélévision ivoirienne) diffuse une série humoristique : « Ma famille ». Cette série va connaître très rapidement un succès national. A l’approche de l’heure de diffusion Abidjan devient silencieux ; on se rue pour suivre les aventures de Bohiri, de Delta, de Cléclé ou encore de Gohou. C’est dans cette série que les ivoiriens découvrent l’existence d’un port à Abobo c’est aussi dans cette série que Decauthey souhaite se faire doter par sa femme. Delta la femme trompée mais digne touche les ivoiriens, Cléclé qui tient d’une main de fer son mari Gohou impressionne et Marie-Laure trouve toujours le moyen de nous faire sourire. De nombreux humoristes de talent vont se révéler grâce à cette série,(Digbeu cravate ou Abbass). Le succès national va bientôt se transformer en succès continental ; dans toutes les capitales d’Afrique de l’ouest et même d’Europe on connait les répliques de Gohou, on suit les escapades amoureuses de Bohiri et on souffre à la place de Delta. « Ma famille » devient une véritable sucess story ivoirienne !!
Cette décennie va aussi marquer l’essor de nombreux humoristes qui envahiront la scène culturelle ivoirienne. Un duo va particulièrement faire rire les ivoiriens, je vous laisse le découvrir ICI.
Les ivoiriens vont se faire remarquer dans un autre domaine culturel, celui de la littérature. Cette décennie voit la consécration d’un monument de la littérature ivoirienne et africaine le géant Ahmadou Kourouma. Ecrivain en exil et auteur d’ouvrages comme « le soleil des indépendances » et « en attendant le vote des bêtes sauvages ». En 2000 en pleine transition militaire, il reçoit le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens pour son chef d’œuvre « Allah n’est pas obligé ». Ce monument de la littérature s’éteindra en 2003 laissant à la Côte d’Ivoire un héritage littéraire considérable. En hommage à son talent, un prix Ahmadou Kourouma est décerné au salon du livre et de la presse de Genève. Après les romans, la bande dessinée va faire parler de la Côte d’Ivoire. En 2005, le premier tome de la bande dessinée « Aya de Yopougon » paraît sous la plume de Marguerite Abouet. Cette bande dessinée raconte les aventures d’une jeune ivoirienne Aya qui vit dans l’un des quartiers les plus célèbres d’Abidjan : Yopougon. Dès sa parution, la bande dessinée de Marguerite Abouet rencontre un immense succès et elle reçoit le prix du premier album de bande dessinée au festival d’Angoulême en 2006. Aya de Yopougon aura six volumes et exportera la culture ivoirienne dans le monde, de Paris à Bruxelles en passant par Montréal on connait l’Hôtel Ivoire, la rue princesse, Solibra et Yopougon devient la commune d’Abidjan la plus connue dans le monde !!
Création de richesse
Sur le plan économique la Côte d’Ivoire est coupée en deux et se voit donc privée d’une partie importante de ses ressources. Mais le pays tient bon, malgré les difficultés et la baisse des recettes, les fonctionnaires seront payés en temps et en heure pendant ces 10 années. La Côte d’Ivoire vacille mais ne plie pas, elle reste la locomotive économique de l’Afrique de l’ouest. C’est dans cette Côte d’Ivoire divisée, où le climat pour les affaires est morose, que vont émerger de grands entrepreneurs. Ils s’appellent Jean Kacou Diagou (avec le groupe NSIA) qui devient au cours de cette décennie l’un des premiers assureurs ivoiriens, ou Fabrice Sawegnon qui avec son entreprise « Voodoo communication » devient au cours de cette décennie la première agence de communication d’Afrique de l’ouest francophone. On peut aussi citer Stephane Eholie qui crée en 2001 la « Simat » (société ivoirienne de manutention et de transit), une PME à capitaux 100% ivoiriens qui sera en 2007 l’une des premières PME ivoiriennes à être cotée à la bourse de paris, et encore Bernard Koné Dossongui qui crée en 2002 le groupe Atlantique Telecom, véritable touche à tout, il est aussi présent dans le milieu bancaire à travers sa structure atlantique Financial group et dans l’agro-industrie. Sur le plan international, l’élite intellectuelle ivoirienne va elle aussi briller. Ainsi en 2008 Thierry Tanoh diplômé de l’École supérieure de commerce d’Abidjan (ESCA) va être nommé vice-président de la société financière internationale et en 2009 c’est Tidjane Thiam qui devient le directeur général du groupe d’assurance Prudential.
« On pisse sur les murs et puis ca ne va pas quelque part dans ce pays c’est comme ça tu vas faire comment » Garba 50
Avec la guerre, les conditions de vie de la population ivoirienne se dégradent. Les élites au pouvoir, enfermées dans leur tour d’ivoire, semblent l’ignorer. Pendant que la crise fait rage ces élites dirigeantes mènent grand train. Leurs richesses se fait de plus en plus insolentes pour une population qui peine parfois à se nourrir. De 2000 à 2010 en Côte d’Ivoire, on construit à tour de bras d’immenses demeures, on s’offre des voitures de luxes (Maybach !), on organise des anniversaires dans un faste sans pareil. L’argent coule à flots mais seulement pour une caste. C’est l’essor des voitures 4×4 (RAV4 !) dans la ville d’Abidjan. Le parc automobile privé de certains ministres dépasse même parfois celui de leur ministère et tout ça au vu et au su de la population, et, comme le notera Pat Sacko (espoir 2000) dans sont titre « trop c’est trop » : dans la décennie 2000 plus besoin d’école pour devenir ministre. C’est toute la classe politique ivoirienne, tous partis confondus, qui vit dans ce luxe, PDCI, RDR, FPI, UDPCI, forces nouvelles (ex rebelles) … tous s’enrichissent.
En 10 ans les scandales se succèdent, le plus marquant est celui du Probo Koala, ce bateau criminel qui déchargera sa cargaison de déchets toxiques dans toute la ville d’Abidjan. A côté de la décharge d’Akouedo, la population se meurt en inhalant les effluves de ces déchets. Ce scandale pointe du doigt la corruption des dirigeants. Un autre scandale va secouer la filière café-cacao cette fois-ci. Les responsables de cette filière sont suspectés par la justice ivoirienne de détournements de fonds, d’abus de confiance, d’abus de biens sociaux et d’escroquerie. Les différents audits effectués feront état de la disparition de 370 milliard de F.cfa sur la période 2002-2008. En 2008, ceux que l’on appelle les barons de la filière café-cacao sont mis aux arrêts, il semble qu’ils n’auraient pas écouté les conseils du président de l’époque voir.
Dans ce flot de scandales et d’enrichissement parfois illicite, le génie ivoirien va une fois de plus se révéler pour dénoncer les excès du régime. C’est en chansons que cette dénonciation va se faire. Le Rap, ou plus précisément le Rap abidjanais, emmené par le groupe Garba 50 et l’artiste Billy Billy vont, avec une prose habile et subtile, mettre en avant les tares et les excès des dirigeants. Ils vont aussi être les porte-paroles du peuple et dépeindre avec précision et parfois un humour noir le quotidien de bon nombre des ivoiriens « on est trop beaucoup dans salon de mon tonton ». Leurs titres « Survivant » ou encore « Allons à wassakara » sont des titres puissants et percutants qui donnent une voix aux sans voix.
Ils s’appellent Koné Dossongui, Marguerite Abouet, Stephane Eholié, Akissi Delta , Billy Billy, Fabrice Sawegnon, Clementine Papouet, Gohou Michel , Digbeu cravate , Thierry Tanoh, Ahmadou Kourouma , Jimmy danger Jean Kacou Diagou, Isaie Biton Coulibaly, Tidjiane Thiam, Garba 50 et ils ont tous été au cours de la première décennie du XXIième siècle les symboles de cette Côte d’Ivoire qui gagne.
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