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En attendant L’Elite…

Les plaintes se suivent et se ressemblent, on décrit, on s’insurge.  Depuis les indépendances, les complaintes ne cessent d’alimenter le débat en Afrique. Les lamentations se perdent depuis des décennies dans le désert de l’inertie. L’Afrique est certes en progrès mais elle reste marquée par des carences importantes. Le continent est à la recherche de son élite censée jouer un rôle moteur dans son processus d’émancipation. Mais celle-ci, qu’elle soit économique, intellectuelle ou politique se démarque par son absentéisme.

Une élite moribonde et sans substance

Formée dans les meilleures écoles locales ou étrangères, possédant un patrimoine culturel et économique supérieur aux populations de base, elle semble avoir oublié la responsabilité qui lui incombe. L’inaction et la torpeur sont les meilleurs adjectifs pour la qualifier, elle fait des arrangements avec sa conscience pour refuser la place qu’elle se doit d’avoir.

Au-delà de son inaction, l’élite se caractérise surtout par une base idéologique incohérente au mieux sinon inexistante. Elle pourfend le Fcfa qu’elle traite de monnaie néocoloniale mais ne s’offusque pas de voir des domaines stratégies de son économie détenue pas ce même ancien colon. L’élite feint d’ignorer que critiquer le Fcfa juste sur des considérations sentimentales sans engager un débat de fond sur le contenu et les logiques politiques et économiques qui construisent cette monnaie, c’est mener un combat vain et surtout vide de sens. Cette élite oublie en critiquant le Fcfa qu’une grande partie de son pouvoir économique repose sur les mécanismes de cette monnaie. Le Fcfa n’est qu’une illustration des carences de ses raisonnements, elle est incapable d’apporter une critique scientifique, incapable de produire des solutions concrètes et efficaces.

Elle vante la croissance à 8% oubliant ses cours de 1ère année d’économie : la croissance n’est viable que si elle se traduit par une politique de redistribution effective et juste. La question de la diversité de l’économie, principe économique de base, ne lui pose pas de problème puisqu’elle est la première à profiter d’un prix des matières premières élevé.  Ayant une piètre connaissance de son histoire, la crise des années 80 ne peut lui servir d’avertissement. Elle sombre dans un vide idéologique abyssale. Ses plus grands technocrates bardés de diplômes pompeux sont trop occupés à profiter des avantages d’une économie exsangue qui ne sert que les intérêts d’une petite bourgeoisie vorace.

Elle critique la corruption endémique mais oublie que son permis de conduire lui a été octroyé dans des délais record et sans qu’elle ne participe à un seul cours de conduite. Les exemples sont légions de cas où elle se rend coupable de corruption mais aveuglée par sa position elle oublie qu’elle est la première à profiter de ce système.

Une élite aveuglée par ses privilèges

Elle s’est exilée par envie dans les plus grandes capitales du monde et regarde avec dédain la terre qui l’a vue naitre : « l’Afrique est trop corrompue, il n’y a pas assez de d’évènements culturels » « les hôpitaux sont en état de délabrement », « il fait chaud, je n’ai pas accès à la 4G » « la situation politique est trop instable »…  Avec  toutes ces critiques l’on se demande comment elle a pu grandir dans un environnement aussi hostile et s’en sortir.  Elle ne retournera dans son pays que lorsque toutes ces choses seront à un niveau qu’elle juge suffisant. Copiant l’attitude du passager clandestin elle n’est pas loin de frôler la lâcheté. Complètement acculturée, elle rêve de faire de son pays une pâle copie de sa terre d’accueil, refusant de se créer une identité propre et de bâtir un pays en phase avec son temps et ancré dans ses racines et ses traditions.

Affirmant sa pseudo-africanité, elle préfère pour des raisons prétendument « pratiques » être Française, Canadienne, Américaine, Anglaise acceptant de subir les affres d’un système qu’elle pourfend. Elite dans son pays, prédestinée à occuper les plus hautes fonctions, elle préfère subir en Europe ou en Amérique l’humiliation d’un déclassement social.

Lorsqu’elle se décide enfin à rentrer, elle oublie ses devoirs. Trop égoïste elle souhaite uniquement répéter les schémas de ses aînés oubliant les débats endiablés de ses années étudiantes. Elle est désormais actrice d’un système qui en fin de compte lui est bien profitable. Lorsqu’un Burger King ouvre dans le quartier huppé de Cocody, elle sait que son pouvoir d’achat lui permettra d’en profiter. Elle ne peut critiquer un système sur lequel est fondée toute sa légitimité. Elle l’a très bien compris « on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis ». Même si à deux pas de chez elle, la malnutrition, le paludisme et le sida sévissent elle n’en a cure et préfère passer ses weekend à Assinie, loin de la plèbe qui ne lui inspire aucune sympathie.

Rendre à la communauté                                                                                    

Dans l’antichambre, le peuple soumis aux pires vicissitudes de la vie ne se plaint plus.  Il est le premier à subir les conséquences d’un système de santé défaillant car n’ayant pas les moyens de se faire soigner dans des cliniques privées. Il subit le premier le nivellement par le bas de la société en ayant accès un système éducatif de piètre qualité. Il n’a pas les moyens d’inscrire ses enfants dans un lycée français dont les places trustées par l’élite ne fait que confirmer la faiblesse du système éducatif trop incompétent pour accueillir l’élite.

Le peuple laissé pour compte n’attend plus rien de ceux qui l’ont lâchement abandonné. Livré à lui-même sans qu’on ne lui donne les moyens de changer de vie, il se voit proposer des solutions inadaptées. On lui parle d’entrepreunariat alors que tout ce qu’il demande c’est que le prix de son labeur soit rémunéré au juste prix. On lui parle de nouvelles technologies en oubliant qu’à l’intérieur du pays, l’accès à l’électricité est une gageure. On lui promet des infrastructures routières reliant les grandes villes alors qu’il souhaite simplement que ses enfants puissent arrêter de faire 500km pour se rendre à l’école. Ces solutions sont le symbole du délitement intellectuel des élites en déphasage complet avec la réalité d’un territoire qu’elles connaissent très peu et qu’elles refusent de connaitre.

La grandeur d’une nation se définit par la capacité de son élite à proposer un idéal en phase avec les réalités de son territoire, elle doit être celle qui insuffle le mouvement et donne le cap. Elle doit pourvoir, de par ses attributs, générer un projet de société qui englobe toute la nation. Elle ne peut continuer à bâtir une nation qui ne sert uniquement que ses intérêts et son entre soi.

Elle doit avoir la lucidité de produire une réflexion intellectuelle et poser un regard scientifique sur ses besoins et apporter des solutions qui s’inscrivent dans un cadre idéologique. L’action sans cadre idéologique ne produit aucun résultat, il suffit juste de regarder autour pour s’en convaincre. L’élite ne doit pas perdre la bataille de l’intelligence et laisser le soin aux autre de penser à sa place. Elle doit s’éloigner des slogans pompeux infructueux, proposer et choisir une ligne directrice impliquant toutes les couches de la population. Elle doit refuser l’incohérence dans ses discours, affirmer ses positions et refuser tout compromis. Elle doit s’armer de connaissances, se former à son histoire, comprendre son environnement et être pourvoyeuse de solution.

L’urgence de la prise de conscience

Les chiffres sont accablants pour notre pays et derrière le mirage de l’émergence, la réalité nous rattrape. La Côte d’ivoire est classée au 172e rang sur 188 de l’indicateur de développement humain, ce chiffre traduit la difficulté pour les Ivoiriens d’avoir accès aux prestations de base. L’espérance de vie se situe à 54 ans avec un taux de mortalité infantile à 64 ‰, démontrant que les progrès de la médecine sont loin d’être diffusés dans ce pays.

Le Sida, véritable fléau, est la première cause de mortalité chez l’homme et la deuxième cause chez la femme après  la mortalité due à la grossesse et à l’accouchement avec un taux de prévalence de 3.2%. Pour faire simple,  la Côte d’Ivoire est à ce jour le pays de l’Afrique de l’ouest le plus touché par le VIH/SIDA. Autre fléau, le paludisme qui lui aussi tue chaque heure en Côte d’Ivoire sept enfants et constitue aujourd’hui la première cause de mortalité chez les enfants.

A cette situation sanitaire désastreuse s’ajoute la pauvreté. Selon les dernières données de l’institut national de statistiques 46,3 % de la population ivoirienne vit avec moins de 737 Fcfa par jour, pour résumer 46,3 % des ivoiriens n’arrivent pas à avoir une vie décente. Sur le plan de l’éducation, le taux d’alphabétisation est de 45% avec un taux d’alphabétisation des femmes qui se situe lui à 36,3 %. Pour mettre en perspective ce chiffre, on remarque que le Brésil pays émergent également a un taux d’alphabétisation de 96,7 %. L’excision est encore une pratique courante dans ce pays avec un taux de prévalence de 36 %, taux encore trop élevé quand on connait les dégâts de cette mutilation sur la vie des femmes.

Ces chiffres ne sont pas exhaustifs et ne reflètent qu’une faible partie de la réalité d’un pays qui peut se targuer d’être la première économie de l’UEMOA mais qui est en vérité un pays pauvre loin des standards qui définissent un pays développé.  Quand on est premier parmi les derniers on est premier de rien du tout.

Face à ces chiffres alarmants, ne pas agir revient à être complice et à cautionner. S’asseoir à 6 000 km ou 10 000 km pour critiquer ou être sur place voir et ne rien faire c’est participer à amplifier l’impact de ces chiffres et contribuer à la création d’une société toujours plus inégalitaire. Il nous incombe donc de prendre nos responsabilités et de construire la société que nous voulons pour nos enfants tout en refusant toute compromission.

Comme Frantz Fanon le disait : Chaque génération doit dans une relative opacité trouver sa mission l’accomplir ou la trahir. Il est de notre responsabilité de faire partie d’une génération qui accomplira sa mission.

NJA

 

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njaone

Commentaires

J2one
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«un pays qui peut se targuer d’être la première économie de l’UEMOA mais qui est en vérité un pays pauvre loin des standards qui définissent un pays développé.» tout y est.

WHO SAID SO???

Sous un autre point de vue l'Afrique à depuis des millénaires créer ses standards est un continent développé et grandiose, jusqu'à ce qu'elle fasse l'erreur d'Adam. Ne l'oubliez pas.
Pourquoi vouloir absolument continuer à manger une pomme alors qu'elle ne pousse pas chez vous. Essayez donc , et demander à eve ,oups pardon,un de vos petits franchouillards d être un inconditionnel de nos mangues sous ses quatres saisons.

Si vous compariez les pays occidentaux à nos standards , uses ,coutumes, cultures, indicateurs de richesses, valeurs morales et sociales , vous les retrouveriez tous bon derniers et au plus bas de nos statistiques de références. ............................................................
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Et bientôt le mariage pour tous fera certainement parti des indicateurs de développement.??? Et ce grâce à qui notre élite , ?? Notre diaspora??? Nos politiques???? Qui???

On attend qui??

J2one.

Paule
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Merci pour Cet article! La question eat que proposez vous pour que nous puissions agir a notre echelle meme le plus infimement pour changer les choses?

Edmond kouame
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Tellement vrai....

Sergeobee
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Très bel article.

Ma contribution à ce débat:

Partie 1:
https://obosso.net/elites-africaines-lenjeu-est-ailleurs-partie-1/

Partie 2:
https://obosso.net/elites-africaines-lenjeu-est-ailleurs-partie-2/