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Les sentiers communs

L’histoire commune des peuples qui composent la Côte d’Ivoire débute par la colonisation. Ebriés Bétés, Guérés, Koulangos, Baoulés, Lobis s’unissent contre cette intrusion étrangère et luttent sans relâche pour retrouver leur liberté. Contestant de manière permanente la présence du colon français, ils finiront par acquérir leur indépendance le 07 Août 1960.

L’indépendance acquise va marquer le début du délitement de l’unité des peuples qui avait pour unique fondement la lutte contre le colon. Le miracle ivoirien et la fascination pour le père fondateur maintiendront pour quelques temps l’unité d’un peuple qui n’a pas su devenir une véritable nation. Les alertes du Guébié, du Sanwi et du tribunal de la plantation rendues invisibles par l’embellie économique rappelaient par à coup la fragilité d’un Etat qui n’a pas su ériger un idéal commun. 

Le début des années 90 acte la fin du miracle ivoirien. Houphouët-Boigny, père de la nation et jusque-là figure tutélaire incontestée, voit son pouvoir vaciller. La jeunesse est dans la rue. L’ivoirité, la charte du Nord, l’instauration de la carte de séjour fragmentent encore plus une société qui n’a jamais su penser son vivre ensemble. Le 7 décembre 1993, le dernier rempart qui soutenait un édifice en perdition s’écroule, Houphouët-Boigny meurt. La Côte d’ivoire redevient ce qu’elle a toujours été : un agrégat de peuples qui n’ont jamais fait le choix de construire une destinée commune. La guerre de succession puis la guerre tout court s’invitent sur ce territoire que la violence semblait avoir épargnée. Octobre 2010 tout s’effondre. L’incessant bruit des kalachnikovs porte les germes d’une division profonde, les trois mille morts actent la fin de l’unité de façade. 

Construire un idéal commun

Déclarés frères par un bourreau étranger, les peuples qui composent la Côte d’Ivoire actuelle n’ont jamais librement accepté de faire de ce pays le leur. Par ailleurs, les élites qui ont présidé aux destinées de ces peuples après la colonisation, n’ont pas pu faire émerger un idéal commun accepté de tous.  

La crise qu’a connue la Côte d’Ivoire prend racine dans l’absence de consentement des peuples à suivre un sentier commun et à se penser comme membre d’une même nation. Pour sortir de cette crise, il faut relever le défi de la construction d’un idéal commun partagé et accepté de tous. L’idéal se doit, pour être réalisable, de prendre en compte les spécificités culturelles de tous les peuples qui composent la Côte d’ivoire. L’histoire et les traditions doivent porter cette nouvelle vision tout en y insérant les enjeux du temps présent.

Le premier pas vers la construction de cet idéal doit être la guérison des blessures du passé et la construction d’une réconciliation durable. Celle-ci devra passer par la reconnaissance des fautes commises ; une grande nation ne se construisant qu’en assumant ses atermoiements et ses faiblesses.

Les populations de Duékoué et du Guébié veulent qu’on reconnaisse les massacres dont elles ont été victimes. Les peuples du Nord s’étant vu nier leur appartenance à la Côte d’Ivoire souhaitent que l’on se souvienne de leur douleur.

Après la reconnaissance vient la justice. Faire émerger une justice de réparation, une justice libre et libératrice qui ne servira pas à punir ou à sanctionner les vaincus mais qui apaisera les souffrances, les tensions et les frustrations. Un peuple réconcilié avec son histoire peut se projeter dans la réalisation d’un idéal commun. 

Celui-ci doit être porté par trois piliers : La formation des générations futures, la construction d’un modèle économique garantissant la liberté et la dignité des citoyens et répondant aux enjeux de notre époque et le développement d’une identité culturelle forte. L’objectif doit être de rassembler les peuples autour d’un projet qui garantira un avenir à leurs enfants, une amélioration de leurs conditions de vie et une culture commune puissante. 

Adhérer à cet idéal c’est accepter de devenir une nation, embrasser l’histoire et sa grandeur, accepter les contradictions, être solidaire des erreurs et des échecs et supporter les compromissions de son pays. La Côte d’Ivoire qui devient une nation ne considèrera plus comme un étranger le commerçant malinké vivant dans un village baoulé et les terres fertiles de l’ouest de la Côte d’Ivoire appartiendront désormais à l’ensemble de la communauté nationale. Le tribunal de la plantation deviendra une blessure commune portée par toute la nation et le génie d’Ernesto Djédjé la fierté de tout un peuple.

Une adhésion portée par les élites

Le peuple doit jouer un rôle dans le processus de construction, il doit s’organiser et accepter de devenir un véritable contre-pouvoir garant de cet idéal de société. Son adhésion doit être totale et ne souffrir d’aucune hésitation. Il doit faire corps avec ce projet et accepter de tendre vers une nouvelle définition de son identité qui deviendra multiple et diverse. Il doit oublier les rancœurs du passé et les aprioris pour construire de nouvelles relations.

Cependant, la grandeur d’une nation se définit avant tout par la capacité de son élite à proposer un idéal en phase avec les réalités de son territoire. Cette élite doit être celle qui insuffle le mouvement et donne le cap. Elle doit pouvoir, par ses attributs, générer un projet de société puis créer une adhésion sans contrainte autour du modèle qu’elle propose. Une volonté d’être pleinement ivoirien tout est restant Malinké, Abron, Dida, Gouro, Attié, Agni ; tout cela sans contrainte mais mu par la pleine conscience de vouloir partager une histoire et un destin commun. Les élites se doivent de veiller à construire cette adhésion en prônant un langage de vérité et en jouant enfin leur rôle d’éclaireurs.

Les élites doivent saisir l’urgence du temps et s’inscrire dans le sens de l’Histoire en ne dissociant plus leurs intérêts de ceux du peuple pour qu’enfin les peuples d’Eburnie s’attachent à ces mots d’Ernest Renan : « Une nation est […] une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. ». 

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Auteur·e

njaone

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