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Zouglou ou la conscience d’un peuple #2

Peut-on parler de Zouglou sans évoquer sa capacité à saisir les maux de la société ? À mettre en lumière les dynamiques d’une société en perpétuel mouvement et à raconter avec une plume feutrée tous les événements qui la traversent ?

La Côte d’ivoire qui se prépare à rentrer dans le nouveau millénaire est en perte de repères. Les crises politiques à répétition, la guerre, les charniers finissent par ébranler les faibles fondements d’une nation encore trop fragile. La société est en crise. A la recherche d’un nouvel idéal, elle sombre. Le Zouglou sera là, pour la relever, la porter, et lui rappeler les valeurs qui la définissent.

Le Zouglou s’adressera avant tout à la jeunesse. Dézy Champion décrira leur état esprit et délivrera un message d’espoir :

« mais moi j’ai foi aux jeunes d’aujourd’hui qui ont été élevé par le coup de tonnerre, donc ils n’ont pas peur du coup de fusil, c’est des vrais guerriers qui savent se battre » Courage.

Son duo avec le leader du groupe Magic System s’inscrira dans la même logique, « Djewé » est avant tout un témoignage du parcours de ces artistes qui forcent l’admiration.

« Quand tu ouvres le dictionnaire où il est écrit galère il y  ma photo à côté ».

De par leur parcours, les artistes Zouglou sont les seuls à avoir la légitimité pour véhiculer un message à un peuple soumis aux pires vicissitudes.

Fitini, l’un des meilleurs paroliers du Zouglou, lui offrira ses meilleurs textes. L’exode vers la capitale est un phénomène trop présent pour être ignoré et Fitini s’en fera le portevoix dans son titre « Abidjan est dur ». Trop souvent perçu par la jeunesse de l’intérieur du pays comme un eldorado, Abidjan se révèle parfois sous les traits d’une briseuse de rêve.

« Il est arrivé à Adjamé, il y deux loubards qui se bagarraient il arrive il se renseigne on lui dit c’est à cause de togo (100 FCFA) ». Cette phrase traduit assez bien le message véhiculé par cette chanson.

Le plus grand succès de l’artiste reste sa critique de « l’école ivoirienne ». Le constat qu’il en dresse dans cette œuvre ne souffre d’aucune contestation et est malheureusement toujours d’actualité.

En 2002, l’insouciance qui s’empare de la Côte d’Ivoire avec l’avènement du coupé décalé ne laisse pas insensible le Zouglou. Trop éloigné de ce nouveau concept avec lequel il partage peu de valeurs, il essayera d’être un garde-fou face à ce mouvement certes brillant mais aux dérives multiples.

« Abou va-s’y molo molo, toi tu es comment quand on te parle ne peux pas écouter d’après toi c’est le farot mais faro-faro ça ne peut pas payer ciment ». Abou

Le Zouglou, malgré une baisse de son aura due à l’éclosion du coupé décalé, gardera sa constance en proposant des textes toujours plus pointus décrivant la réalité des ivoiriens loin des frasques du coupé décalé.

 « J’ai une mère et un père les deux se sont connus dans la galère. Comme héritage ils sont en train de me laisser dans la souffrance. Mon métier c’est la misère, ma distraction c’est la galère, je cherche encore mes repères car le bonheur je le préfère. Grouillement me rend bossu, affrontement de la vie me rend nerveux » Triste Destin

Petit Denis, fidèle à lui-même, partagera à sa manière sa vision du coupé décalé :

«si le grand Meiway fait atalaku mon frère il a raison, chacun cherche son dabali » Galoper

Les artistes Zouglou passeront maitres dans l’art de raconter des histoires entendues dans les quartiers de la Capitale. Le cultissisme « 1 er gaou » qui fait aujourd’hui figure de référence en est un exemple parlant. L’un des thèmes les plus récurrents est sans doute celui des relations Hommes – Femmes. Espoir 2000 sera le groupe qui critiquera la plus la gente féminine avec parfois, une certaine mauvaise foi

« l’argent c’est bon c’est vrai, pardonnez aimer un jour «  … » quand la galère frappe à la porte l’amour sort par le fenêtre ce que je te dis c’est pour que tu fermes ta fenêtre. » Calculeuses

A’salfo et les magiciens ne se priveront pas non plus de critiquer les relations parfois complexes entre les deux sexes

« il est vrai qu’on nous a toujours dit derrière un grand homme se cache une dame de feu mais souvent derrière les dames de feu y’a un petit pompier » Petit Pompier

L’humour, la satire, et la dérision sont inhérents au Zouglou et Petit Denis en usera à la perfection notamment dans ses titres « tournoi », et « sécurité », qui racontent avec humour et simplicité des histoires pleines de sens qui sont une juste retranscription de la réalité sociale ivoirienne. Le Zouglou sera aussi présent pour mettre en avant l’absurdité de certaines mesures politiques comme l’ivoirité. Petit Denis tournera en dérision ce concept dans son titre Papa Polo

« Bakari voleur commence à prier en mossi, Papa polo surpris pose la question : « donc toi tu es étranger ? Tu as eu la chance parce que Bédié a dit de consommer ivoirien, comme toi tu es étranger je peux pas manger pour toi. »

« Aventurier », « Kouyou », « Marie louise », « Atito », « la vie » sont des titres qui consacrent le Zouglou dans sa mission principale : éveiller les consciences. Les textes du Zouglou traduisent les tumultes mais aussi la quiétude, les peines mais aussi les sourires qui irriguent la société ivoirienne. Le Zouglou sait écouter mais sait surtout parler à un peuple qui trouve refuge dans ce style musical qui lui reste fidèle et qui ne se fourvoie pas. « Ivoirien est chrétien parce que y’a plus l’argent pour payer les moutons les cabris de sacrifice, ivoirien qui est là ne peut jamais gâter son nom » Ivoirien

Le Zouglou est un art qui met en exergue le particularisme culturel de ce pays d’Afrique de l’ouest qui s’est toujours démarqué par son inventivité. Le Zouglou ne fait que confirmer la capacité des ivoiriens à construire leur propre patrimoine culturel en agrégeant toutes les cultures qui composent sa nation.

NJA

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Auteur·e

njaone

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