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Zouglou ou la genèse d’une fierté nationale #1

En Côte d’ivoire la dernière décennie du XX siècle annonce la fin d’un cycle, la fin d’une époque. Le modèle social érigé depuis la fin de la colonisation par le père de la nation ne trouve plus de réponses aux injonctions du temps présent. Le régime vacillant du Bélier de Yamoussoukro n’a plus la lucidité pour cerner les contours de l’histoire qui s’écrit. La révolte qui couve annonce la fin d’un régime au zénith de sa gloire mais à la veille de sa décadence.

La crise économique qui fait rage dès le début des années 80 peine à se résorber malgré la succession de programmes d’ajustements structurels censés remettre le pays sur la voie de la croissance. Ces programmes d’ajustements structurels auront pour première victime le système éducatif ivoirien. Autrefois vanté pour sa qualité, il se voit désormais privé de ressources et ne peut plus assurer la formation du flot de jeunes aspirant à une éducation de qualité. Les coupes budgétaires et la réduction drastique du nombre de bourses distribuées, conséquences des programmes d’ajustements structurels, accentuent la précarité dans laquelle vivent les étudiants. Les murmures à peine audibles que l’on entend furtivement sur les différents campus annoncent des lendemains incertains.

C’est dans le silence et la solennité de l’église catholique Sainte famille, située dans le quartier de Cocody, que ces murmures se transformeront en fracas : la FESCI. Ce 21 avril 1990, la création du mouvement résonne comme le cri de ralliement d’une jeunesse désormais actrice de son destin.

Dans cette atmosphère brûlante, incandescente, corrosive, la musique ivoirienne va elle aussi sortir de son mutisme et prendre part à la contestation. La lutte a besoin d’un écho qui porte, audible par tous et compris de tous.  Le Zouglou sera cet écho qui transcendera les clivages d’une population qui retrouve l’orgueil de la lutte.  Porte-voix de toute une génération, Le Zouglou constitue dès son éclosion une arme politique portant des coups persistants à la forteresse du pouvoir. Le campus du « Kazhulu Natal », berceau du Zouglou, sera le point de départ d’une révolution culturelle qui portera toutes les revendications politiques et sociales du peuple ivoirien.

Le Zouglou commencera son parcours de lutte en décriant au son des percussions la misère et la précarité du monde estudiantin. Les parents du Campus de Didier Bilé seront les premiers à allumer officiellement la flamme avec leur titre Gbolo Koffi.

Sur le campus, « la vie estudiantine semble belle mais il y a encore beaucoup de problèmes. Lorsqu’on voit un étudiant, on l’envie, bien sapé, joli garçon sans produit ghanéen. Mais en fait, il faut entrer dans son milieu pour connaître la misère et la galère d’un étudiant. C‘est cette manière d’implorer le Seigneur qui a engendré le Zouglou. Danse philosophique qui permet à l’étudiant de se réjouir et d’oublier un peu ses problèmes ».

Cette composition révèle le Zouglou et le fait entrer dans le champ de la contestation sociale, pas encore mûre politiquement. Il faudra attendre le milieu des années 90 pour voir le Zouglou atteindre sa maturité politique.

Le Zouglou est né, il faut maintenant l’installer dans la durée et le faire entrer dans le cœur des ivoiriens. Le succès des parents du campus est de bon augure pour la suite, le Zouglou va pouvoir laisser éclater son génie.

« Yodé qu’est-ce qu’on fait, je « moyen » coco dans ton dos ce soir ?  Maman ça ne réussit pas parce que moi-même je n’ai pas gagné pour manger.  Ça moyen réussir petit ?  Mais j’ai quoi, les « côcô » comme ça, ça me charge.  Depuis que le Zouglou est créé tout réussi pour nous c’est que pour moi ça moyen réussir ce soir Maman pour toi c’est en brie maintenant ! » Les côcos L’enfant Yodé

Ce dialogue désormais mythique participera à construire la légende du Zouglou. Le Zouglou libère la créativité des ivoiriens, ces musiciens de génie attendaient juste le bon vecteur pour exprimer leur talent.

« mami hééh ton alloco la est trop doux médicament la c’est combien 1600 franc c’est trop cher Mami donne-moi ma monnaie » Mami Eh

Ce refrain, porté par la voix de Lago Paulin, fait encore vibrer cette jeunesse des années 90 nourrit au Zouglou. « Adjoua gazoil », « Nathalie tu exagères », « mange mil », etc. ces titres achèveront de convaincre les ivoiriens de la puissance de ce mouvement culturel, qui est avant tout un mouvement de conscientisation. Le Zouglou est un rythme qui pense.

Dans l’ombre, le Zouglou s’apprête à sortir du campus pour atteindre sa maturité politique. Un groupe fera du Zouglou un outil de contestation politique. Le groupe Salopards sort en 1995 l’album « Génération sacrifiée », chef d’œuvre qui transportera le Zouglou dans une autre dimension. Bouche B, Vive Le maire, Politique meurtrière, Génération sacrifiée, donnent le ton de cet album. Avec une lucidité froide et un verbe acerbe, Bloko et ses compagnons adressent une missive virulente au tenant du pouvoir en place. Les Salopards ouvriront une brèche dans laquelle s’engouffreront de nombreux autres groupes ou artistes.

Les poussins chocs devenu le duo Yodé et Siro, Espoir 2000, les Garagistes, Fitini, Dezy Champion, Surchoc, Les Mercenaires, Petit Denis, Vieux Gazeur, pour ne citer que ceux là, feront du Zouglou une référence culturelle. Le Zouglou ne se contentera plus d’être un simple outil de satire, il deviendra une arme de lutte. De simple critique du monde étudiant, il devient officiellement biais de contestation et de protestation.

A l’aube du XXI, le népotisme fait rage sur la terre d’Eburnie et « l’ivoirité », concept fumeux aux relents xénophobes, conduira la Côte d’Ivoire aux portes de la décadence. « La gangrène de la Côte d’Ivoire, une tumeur qu’il faut éradiquer » : c’est en ces termes que l’illustre Bernard Dadié décrira ce concept explosif. Les Salopards, encore eux avec le titre « Ivoirité », dénonceront cette instrumentalisation ethnique et défendrons la Côte d’Ivoire multi-ethnique qui tire sa force et son éclat de cette diversité.

« Autrefois dans mon cher pays les gens s’aimaient il régnait la fraternité, l’amour sans différence ethnique, nos parents travaillaient main dans la main pour bâtir notre pays, Les Bétés étaient les frères des Baoulés, les Dioulas étaient les frères des Agnis, les Guérés étaient les frères des Gouros Konan Bédié dis-moi ton nom je te dirais d’où tu viens, Laurent Gbagbo dis-moi ton nom et je te dirais d’où tu viens, Alassane Ado dis-moi ton nom je te dirais d’où tu viens , Constant Bombet dis-moi ton nom je te dirais d’où tu viens. »

La Côte d’Ivoire vient de traverser la décennie 90 dans un climat tumultueux, les élections de l’an 2000 s’annoncent houleuses, la tension est palpable mais personne ne prédit les heures sombres que le pays traversera au cours de la première décennie du XXI siècle. Le Zouglou après s’être imposé, fera montre d’une constance et d’une cohérence qui ne feront qu’accroître son prestige.

NJA

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njaone

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