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Zouglou ou l’histoire d’une contestation politique et sociale #3

Zouglou histoire d’une contestation sociale

« Le 24 décembre 1999, pendant qu’on était tous occupés, mon beau pays tournait une page de son histoire. Quand j’ai demandé, on dit c’est Bédié qui s’était fâché parce qu’ils ont pris sa place et puis ils l’ont foutu à la porte sans préavis, en tout cas il nous a pas dit au revoir. Au lieu de pleurer, les gens disaient : C’est bien fait pour lui. C’est quel Président, depuis on te parle, tu ne comprends rien. Ton peuple a faim, toi tu lui tiens des discours guerriers. Quand tu vas à l’hôpital, docteur te dit repose en paix. Mais si on ne peut pas manger, on ne peut pas se soigner, si on ne peut pas aussi te parler! Président, toi tu fais quoi là. Voilà pourquoi! ils ont fait nan nan nannan nannan C’est pourquoi! C’est pourquoi! Tu es parti. » Changement Soum Bill

Ce 24 décembre 1999 marque la fin du règne du premier parti politique de Côte d’Ivoire. Le Conseil National de Salut public (« CNSP ») prend le pouvoir avec à sa tête le Général Guéi, porté au pouvoir par les « jeunes gens ». Ce nouveau pouvoir militaire subira lui aussi les foudres du Zouglou.  Dans cette Côte d’Ivoire aux mains de l’armée, les exactions se succèdent, l’insécurité devient une norme et le pouvoir se durcit. Le Zouglou lui ne dévie point et continue de fustiger et de parler au nom du peuple : « Il y a des gens qui ont volé l’argent du pays, on les a laissé partir avec tout le blé mais si tu voles gbofloto pour manger si on t’a attrapé on va tirer sur toi, les armes ont envahi la ville, voila ce qui nous inquiète. » Zambakro Soum bill.

En ce début de millénaire, le Zouglou toujours aussi revendicatif suit l’avènement au pouvoir du fils de Mama, opposant historique qui

« quand le match a commencé (…) étais dans les tribunes et (…) as crié tellement fort que tout le monde (l)’a entendu c’est (lui) qui disait que les défenseurs ne sont pas puissants, le milieu tourne mal, les attaquants sont nuls. (Il) disait encore que c’est l’arbitre qui gâte le match ; aujourd’hui (il) est l’arbitre (il) es sur le terrain. » Président C’est le début de la refondation.

Le Zouglou, fidèle à sa ligne de conduite avertira les refondateurs :

« On ne prend pas l’argent du peuple pour construire son village! Les femmes de Président ! Elles prennent le panier pour aller faire marché à Paris ! Madame la Présidente y a marché à Gbata »

et continuera sans complaisance d’alerter le pouvoir sur les difficultés quotidiennes des populations.

L’accalmie des deux premières années de la refondation n’est qu’un mirage et une déflagration ébranlera les fondements fragiles d’une nation qui n’a pas su éteindre les braises de divisions.  Le 19 septembre 2002, la Côte d’ivoire sombre dans le chaos et l’horreur. La rébellion s’installe, coupe le pays en deux « mais est-ce que pour revendiquer on a besoin de tuer ? ». L’aventure de la refondation est stoppée nette et pour le Zouglou, l’heure n’est plus à la critique mais à la dénonciation et à la condamnation d’une rébellion injustifiée et barbare. Pat Sacko du groupe Espoir 2000 et Petit Yodé vont être les fers de lance de ce Zouglou qui en 2002 se veut patriotique. Leur titre « on est fatigué », va résumer tous le ressenti d’une population qui n’aspire qu’à la paix, en condamnant unanimement cette entreprise destructrice. Dans cette chanson, les deux artistes poseront une question qui prendra tout son sens quelques années plus tard « existe-t-il une solution politique à un coup d’Etat manqué ? ».

Dans une autre composition qui réunira plusieurs figures de la scène Zouglou, ils rappelleront que

« si le pays nous appelle ça ne veut pas dire de venir, de venir avec les armes à la main »

et Petit Denis fera lui, une mise en garde :

« Notre hospitalité nous impose l’amour des étrangers, mais manman, méfions-nous des gens étranges. Ils prennent notre pays-là comme Solenan placali doum, Yé manman, nous on veut seulement la paix. »

Le titre « Indépendance » des garagistes pointera quant à lui la relation ambigüe entre l’ex-puissance coloniale et son ex-colonie, mise en lumière à la faveur de la crise que traverse la Côte d’Ivoire.

« Quand on a faim ils nous jettent à manger, quand on n’a pas besoin d’eux ils sont toujours présents, alors pourquoi se mêlent-ils de nos problèmes ?  Pour coopérer avec notre continent il faut les aviser, pour nos élections nous devons les consulter. Quand l’Afrique se porte bien l’occident est enrhumé »

Zouglou et  la contestation politique

Malgré la guerre, les refondateurs, avec la complicité de toute la classe politique, se perdent dans un flot de scandales et se noient dans des discours belliqueux qui ne calment pas les esprits. Le Zouglou ne va pas se faire prier pour condamner vertement cette situation. Lago Paulin, dans sa chanson « on est fatigué » et Yodé et Siro dans leur chanson « Le peuple te regarde » seront très critiques à l’égard d’un régime acculé par des rebelles menaçants et une communauté internationale lui contestant sa légitimité.

« On assiste à une baisse des valeurs morales. Quelle éducation voulez-vous inculquer à vos enfants ? Plus besoin d’école pour devenir ministre, et on me dit c’est pour que mon pays se porte bien. Ma patrie se meurt. Sa vie n’est que vice, déjà trop de sacrifices » « Trop c’est trop »

« Coûte que coûte vaille que vaille, je serai président. J’y tient tellement que je suis prêt à tuer. Schéma classique d’une comédie politique. Aujourd’hui on tue des gens qu’on veut gouverner demain ».

2010, la prophétie du groupe espoir 2000 se réalise.

3000 morts, des milliers d’exilés, des prisonniers enfermés sans raison, des familles endeuillées pour assouvir la soif de pouvoirs de leaders en manque de vision. Arrivé au pouvoir en chevauchant le corps de ses compatriotes, le nouveau maitre d’Abidjan fera taire toutes formes de contestations. Le Zouglou lui, après 20 ans de combat attend la relève qui peine à émerger ou  qui préfère lui occulter sa dimension politique. Mais dans ce mutisme généralisé, on constate que « le pays-là devient joli mais le peuple a le ventre qui est vide ». Issu de la nouvelle génération, Amaral sera l’un des rares à s’insurger contre cette émergence factice que l’on nous promet. L’ancienne génération recommence elle aussi à donner de la voix. Soum Bill, constant dans ses positions et combattant acharné du Zouglou contestataire nous rappelle « qu’on ne fait la paix qu’avec ceux avec qui on a fait la guerre. »

En 20 ans, le Zouglou aura été de tous les combats politiques en Côte d’Ivoire. Il porte les espérances d’un peuple et redonne de la dignité aux invisibles.  Le Zouglou est le symbole de la grandeur et de la puissance culturelle de la Côte d’Ivoire. Il est avant tout une tribune d’expression qui ne peut demeurer silencieuse. En Zouglou gbê est mieux que Dra depuis Bilé Didier c’est comme ça.

NJA


Zouglou ou la conscience d’un peuple #2

Peut-on parler de Zouglou sans évoquer sa capacité à saisir les maux de la société ? À mettre en lumière les dynamiques d’une société en perpétuel mouvement et à raconter avec une plume feutrée tous les événements qui la traversent ?

La Côte d’ivoire qui se prépare à rentrer dans le nouveau millénaire est en perte de repères. Les crises politiques à répétition, la guerre, les charniers finissent par ébranler les faibles fondements d’une nation encore trop fragile. La société est en crise. A la recherche d’un nouvel idéal, elle sombre. Le Zouglou sera là, pour la relever, la porter, et lui rappeler les valeurs qui la définissent.

Le Zouglou s’adressera avant tout à la jeunesse. Dézy Champion décrira leur état esprit et délivrera un message d’espoir :

« mais moi j’ai foi aux jeunes d’aujourd’hui qui ont été élevé par le coup de tonnerre, donc ils n’ont pas peur du coup de fusil, c’est des vrais guerriers qui savent se battre » Courage.

Son duo avec le leader du groupe Magic System s’inscrira dans la même logique, « Djewé » est avant tout un témoignage du parcours de ces artistes qui forcent l’admiration.

« Quand tu ouvres le dictionnaire où il est écrit galère il y  ma photo à côté ».

De par leur parcours, les artistes Zouglou sont les seuls à avoir la légitimité pour véhiculer un message à un peuple soumis aux pires vicissitudes.

Fitini, l’un des meilleurs paroliers du Zouglou, lui offrira ses meilleurs textes. L’exode vers la capitale est un phénomène trop présent pour être ignoré et Fitini s’en fera le portevoix dans son titre « Abidjan est dur ». Trop souvent perçu par la jeunesse de l’intérieur du pays comme un eldorado, Abidjan se révèle parfois sous les traits d’une briseuse de rêve.

« Il est arrivé à Adjamé, il y deux loubards qui se bagarraient il arrive il se renseigne on lui dit c’est à cause de togo (100 FCFA) ». Cette phrase traduit assez bien le message véhiculé par cette chanson.

Le plus grand succès de l’artiste reste sa critique de « l’école ivoirienne ». Le constat qu’il en dresse dans cette œuvre ne souffre d’aucune contestation et est malheureusement toujours d’actualité.

En 2002, l’insouciance qui s’empare de la Côte d’Ivoire avec l’avènement du coupé décalé ne laisse pas insensible le Zouglou. Trop éloigné de ce nouveau concept avec lequel il partage peu de valeurs, il essayera d’être un garde-fou face à ce mouvement certes brillant mais aux dérives multiples.

« Abou va-s’y molo molo, toi tu es comment quand on te parle ne peux pas écouter d’après toi c’est le farot mais faro-faro ça ne peut pas payer ciment ». Abou

Le Zouglou, malgré une baisse de son aura due à l’éclosion du coupé décalé, gardera sa constance en proposant des textes toujours plus pointus décrivant la réalité des ivoiriens loin des frasques du coupé décalé.

 « J’ai une mère et un père les deux se sont connus dans la galère. Comme héritage ils sont en train de me laisser dans la souffrance. Mon métier c’est la misère, ma distraction c’est la galère, je cherche encore mes repères car le bonheur je le préfère. Grouillement me rend bossu, affrontement de la vie me rend nerveux » Triste Destin

Petit Denis, fidèle à lui-même, partagera à sa manière sa vision du coupé décalé :

«si le grand Meiway fait atalaku mon frère il a raison, chacun cherche son dabali » Galoper

Les artistes Zouglou passeront maitres dans l’art de raconter des histoires entendues dans les quartiers de la Capitale. Le cultissisme « 1 er gaou » qui fait aujourd’hui figure de référence en est un exemple parlant. L’un des thèmes les plus récurrents est sans doute celui des relations Hommes – Femmes. Espoir 2000 sera le groupe qui critiquera la plus la gente féminine avec parfois, une certaine mauvaise foi

« l’argent c’est bon c’est vrai, pardonnez aimer un jour «  … » quand la galère frappe à la porte l’amour sort par le fenêtre ce que je te dis c’est pour que tu fermes ta fenêtre. » Calculeuses

A’salfo et les magiciens ne se priveront pas non plus de critiquer les relations parfois complexes entre les deux sexes

« il est vrai qu’on nous a toujours dit derrière un grand homme se cache une dame de feu mais souvent derrière les dames de feu y’a un petit pompier » Petit Pompier

L’humour, la satire, et la dérision sont inhérents au Zouglou et Petit Denis en usera à la perfection notamment dans ses titres « tournoi », et « sécurité », qui racontent avec humour et simplicité des histoires pleines de sens qui sont une juste retranscription de la réalité sociale ivoirienne. Le Zouglou sera aussi présent pour mettre en avant l’absurdité de certaines mesures politiques comme l’ivoirité. Petit Denis tournera en dérision ce concept dans son titre Papa Polo

« Bakari voleur commence à prier en mossi, Papa polo surpris pose la question : « donc toi tu es étranger ? Tu as eu la chance parce que Bédié a dit de consommer ivoirien, comme toi tu es étranger je peux pas manger pour toi. »

« Aventurier », « Kouyou », « Marie louise », « Atito », « la vie » sont des titres qui consacrent le Zouglou dans sa mission principale : éveiller les consciences. Les textes du Zouglou traduisent les tumultes mais aussi la quiétude, les peines mais aussi les sourires qui irriguent la société ivoirienne. Le Zouglou sait écouter mais sait surtout parler à un peuple qui trouve refuge dans ce style musical qui lui reste fidèle et qui ne se fourvoie pas. « Ivoirien est chrétien parce que y’a plus l’argent pour payer les moutons les cabris de sacrifice, ivoirien qui est là ne peut jamais gâter son nom » Ivoirien

Le Zouglou est un art qui met en exergue le particularisme culturel de ce pays d’Afrique de l’ouest qui s’est toujours démarqué par son inventivité. Le Zouglou ne fait que confirmer la capacité des ivoiriens à construire leur propre patrimoine culturel en agrégeant toutes les cultures qui composent sa nation.

NJA


Zouglou ou la genèse d’une fierté nationale #1

En Côte d’ivoire la dernière décennie du XX siècle annonce la fin d’un cycle, la fin d’une époque. Le modèle social érigé depuis la fin de la colonisation par le père de la nation ne trouve plus de réponses aux injonctions du temps présent. Le régime vacillant du Bélier de Yamoussoukro n’a plus la lucidité pour cerner les contours de l’histoire qui s’écrit. La révolte qui couve annonce la fin d’un régime au zénith de sa gloire mais à la veille de sa décadence.

La crise économique qui fait rage dès le début des années 80 peine à se résorber malgré la succession de programmes d’ajustements structurels censés remettre le pays sur la voie de la croissance. Ces programmes d’ajustements structurels auront pour première victime le système éducatif ivoirien. Autrefois vanté pour sa qualité, il se voit désormais privé de ressources et ne peut plus assurer la formation du flot de jeunes aspirant à une éducation de qualité. Les coupes budgétaires et la réduction drastique du nombre de bourses distribuées, conséquences des programmes d’ajustements structurels, accentuent la précarité dans laquelle vivent les étudiants. Les murmures à peine audibles que l’on entend furtivement sur les différents campus annoncent des lendemains incertains.

C’est dans le silence et la solennité de l’église catholique Sainte famille, située dans le quartier de Cocody, que ces murmures se transformeront en fracas : la FESCI. Ce 21 avril 1990, la création du mouvement résonne comme le cri de ralliement d’une jeunesse désormais actrice de son destin.

Dans cette atmosphère brûlante, incandescente, corrosive, la musique ivoirienne va elle aussi sortir de son mutisme et prendre part à la contestation. La lutte a besoin d’un écho qui porte, audible par tous et compris de tous.  Le Zouglou sera cet écho qui transcendera les clivages d’une population qui retrouve l’orgueil de la lutte.  Porte-voix de toute une génération, Le Zouglou constitue dès son éclosion une arme politique portant des coups persistants à la forteresse du pouvoir. Le campus du « Kazhulu Natal », berceau du Zouglou, sera le point de départ d’une révolution culturelle qui portera toutes les revendications politiques et sociales du peuple ivoirien.

Le Zouglou commencera son parcours de lutte en décriant au son des percussions la misère et la précarité du monde estudiantin. Les parents du Campus de Didier Bilé seront les premiers à allumer officiellement la flamme avec leur titre Gbolo Koffi.

Sur le campus, « la vie estudiantine semble belle mais il y a encore beaucoup de problèmes. Lorsqu’on voit un étudiant, on l’envie, bien sapé, joli garçon sans produit ghanéen. Mais en fait, il faut entrer dans son milieu pour connaître la misère et la galère d’un étudiant. C‘est cette manière d’implorer le Seigneur qui a engendré le Zouglou. Danse philosophique qui permet à l’étudiant de se réjouir et d’oublier un peu ses problèmes ».

Cette composition révèle le Zouglou et le fait entrer dans le champ de la contestation sociale, pas encore mûre politiquement. Il faudra attendre le milieu des années 90 pour voir le Zouglou atteindre sa maturité politique.

Le Zouglou est né, il faut maintenant l’installer dans la durée et le faire entrer dans le cœur des ivoiriens. Le succès des parents du campus est de bon augure pour la suite, le Zouglou va pouvoir laisser éclater son génie.

« Yodé qu’est-ce qu’on fait, je « moyen » coco dans ton dos ce soir ?  Maman ça ne réussit pas parce que moi-même je n’ai pas gagné pour manger.  Ça moyen réussir petit ?  Mais j’ai quoi, les « côcô » comme ça, ça me charge.  Depuis que le Zouglou est créé tout réussi pour nous c’est que pour moi ça moyen réussir ce soir Maman pour toi c’est en brie maintenant ! » Les côcos L’enfant Yodé

Ce dialogue désormais mythique participera à construire la légende du Zouglou. Le Zouglou libère la créativité des ivoiriens, ces musiciens de génie attendaient juste le bon vecteur pour exprimer leur talent.

« mami hééh ton alloco la est trop doux médicament la c’est combien 1600 franc c’est trop cher Mami donne-moi ma monnaie » Mami Eh

Ce refrain, porté par la voix de Lago Paulin, fait encore vibrer cette jeunesse des années 90 nourrit au Zouglou. « Adjoua gazoil », « Nathalie tu exagères », « mange mil », etc. ces titres achèveront de convaincre les ivoiriens de la puissance de ce mouvement culturel, qui est avant tout un mouvement de conscientisation. Le Zouglou est un rythme qui pense.

Dans l’ombre, le Zouglou s’apprête à sortir du campus pour atteindre sa maturité politique. Un groupe fera du Zouglou un outil de contestation politique. Le groupe Salopards sort en 1995 l’album « Génération sacrifiée », chef d’œuvre qui transportera le Zouglou dans une autre dimension. Bouche B, Vive Le maire, Politique meurtrière, Génération sacrifiée, donnent le ton de cet album. Avec une lucidité froide et un verbe acerbe, Bloko et ses compagnons adressent une missive virulente au tenant du pouvoir en place. Les Salopards ouvriront une brèche dans laquelle s’engouffreront de nombreux autres groupes ou artistes.

Les poussins chocs devenu le duo Yodé et Siro, Espoir 2000, les Garagistes, Fitini, Dezy Champion, Surchoc, Les Mercenaires, Petit Denis, Vieux Gazeur, pour ne citer que ceux là, feront du Zouglou une référence culturelle. Le Zouglou ne se contentera plus d’être un simple outil de satire, il deviendra une arme de lutte. De simple critique du monde étudiant, il devient officiellement biais de contestation et de protestation.

A l’aube du XXI, le népotisme fait rage sur la terre d’Eburnie et « l’ivoirité », concept fumeux aux relents xénophobes, conduira la Côte d’Ivoire aux portes de la décadence. « La gangrène de la Côte d’Ivoire, une tumeur qu’il faut éradiquer » : c’est en ces termes que l’illustre Bernard Dadié décrira ce concept explosif. Les Salopards, encore eux avec le titre « Ivoirité », dénonceront cette instrumentalisation ethnique et défendrons la Côte d’Ivoire multi-ethnique qui tire sa force et son éclat de cette diversité.

« Autrefois dans mon cher pays les gens s’aimaient il régnait la fraternité, l’amour sans différence ethnique, nos parents travaillaient main dans la main pour bâtir notre pays, Les Bétés étaient les frères des Baoulés, les Dioulas étaient les frères des Agnis, les Guérés étaient les frères des Gouros Konan Bédié dis-moi ton nom je te dirais d’où tu viens, Laurent Gbagbo dis-moi ton nom et je te dirais d’où tu viens, Alassane Ado dis-moi ton nom je te dirais d’où tu viens , Constant Bombet dis-moi ton nom je te dirais d’où tu viens. »

La Côte d’Ivoire vient de traverser la décennie 90 dans un climat tumultueux, les élections de l’an 2000 s’annoncent houleuses, la tension est palpable mais personne ne prédit les heures sombres que le pays traversera au cours de la première décennie du XXI siècle. Le Zouglou après s’être imposé, fera montre d’une constance et d’une cohérence qui ne feront qu’accroître son prestige.

NJA


DEMAIN

Daloa. Yao se prépare, il a récolté la somme indiquée, il la donnera demain aux passeurs. Il s’apprête à affronter le sahel, les côtes libyennes et les gardes-côtes italiens. Demain, il embarque pour le voyage le plus important de sa vie. Comme plusieurs aventuriers avant lui, il ira lui aussi tenter sa chance dans ce pays où tout semble possible. Il ira gonfler le contingent des rabatteurs de la station château rouge et se reposera dans ces immeubles insalubres où s’entassent ses compagnons d’infortune venus de ce continent que l’on dit maudit. Sans papier, il fuira la police comme la peste.  Comme son père le lui a enseigné il ne cessera de se battre pour avoir, lui aussi le droit de vivre décemment. Eboueur, plongeur, maçon, technicien de surface, c’est par le travail qu’il retrouvera une partie de sa dignité perdue. Les longues journées passées à jouer au Ludo, au jeu de dames et à l’awalé ne seront plus que des souvenirs qui se perdront dans la brume de ses nouveaux espoirs. Yao goûtera désormais aux joies du monde de la consommation loin des privations du passé. N’oubliant pas son histoire et sa filiation il prendra soin des siens restés sur cette terre ingrate. Yao aussi fou que cela puisse paraître a fait le choix de vivre dans un pays en crise pendant que le sien, connait une croissance sans précédent. Il a vu les aventuriers partis avant lui revenir, leur vie radicalement changée. Yao a fait un choix, demain à l’aube il partira…

Paris. Ismaël fait ses valises après 10 ans de vie dans la ville lumière, il a décidé de retourner chez lui. Demain il sera à bord de l’A380 d’Air France pour prendre le chemin de ce pays que tous encensent et décrivent comme le nouvel eldorado. Lycée français, prépa, HEC paris, Ismaël est le profil type de cette élite africaine venue se former sur les bords de la seine. Ne connaissant ni le manque ni le besoin, les bars de la rue oberkampf n’ont plus de secrets pour lui, les brunchs du dimanche dans le marais sont devenus un rituel et les soirées dans les plus grandes boîtes des champs Elysée où il ne compte plus le nombre de bouteilles d’alcool aux prix exorbitants sur sa table sont devenus son quotidien. Aujourd’hui salarié d’une compagnie anonyme, il noie ses talents et ses rêves dans l’indifférence d’un système qui lui donne l’illusion d’être important. Il n’est plus qu’un énième travailleur qui promène son insignifiance dans le flot d’inconnus se pressant sur la dalle de l’esplanade de la défense ; recherchant des signes de reconnaissance en s’offrant à crédit des costumes italiens sur mesure. Son dernier séjour sur la perle des lagunes l’a bouleversé. Assis à la terrasse d’un café de la capitale, Cohiba dans la main droite et verre de Chivas proche des lèvres, il apprécie la vanité d’appartenir à cette élite insouciante et insolente. Ismaël l’a bien compris jamais il ne pourra avoir meilleur cadre de vie. En faisant ses valises ce matin-là, Ismaël se prépare à profiter des 8% de croissance qu’offre son pays. Ismaël a fait un choix, demain à l’aube il partira…

Yao regarde Ismaël partir et ne comprend pas son désir de rentrer sur cette terre où plane l’ombre du malheur et de la tristesse. Yao sait qu’il n’a pas eu les mêmes chances qu’Ismaël, lui aussi souhaiterait pouvoir rester mais il doit partir pour que son avenir ne soit pas un mirage. Yao reste perplexe comment peut-on vouloir quitter un pays ou les soins de santé sont gratuits et où l’on peut gagner sa vie uniquement sur la base de son travail. Yao se questionne sur la sagesse de la décision d’Ismaël. Yao a fait un choix demain à l’aube il partira.

Ismaël regarde Yao partir et lui aussi ne comprend pas cette volonté de risquer sa vie pour venir vivre dans un pays froid qui n’offre plus aucune perspective. Ismaël reste perplexe et ne comprend pas pourquoi Yao prend un tel risque, quand son pays est aujourd’hui un havre de paix et de prospérité. Du haut de sa tour d’ivoire et d’un ton innocemment condescendant, il conseille à Yao de rester et de ne pas céder à la facilité, le traitant de fou et d’insensé. Ismaël a fait un choix demain à l’aube il partira…

A quand le jour ou Yao ne sera plus contraint à l’exil ? Quand est-ce que Ismaël comprendra que son devoir et sa mission sont de faire en sorte que ses rêves et ses espérances deviennent ceux des milliers d’autres Yao qui attendent eux aussi de prendre le chemin de l’exil? La loterie de la vie a choisi de faire naître Ismaël du bon côté. Ismaël se doit de se rappeler qu’il s’en est fallu de peu pour qu’il soit à la place de Yao. Il a donc une obligation d’action et l’injonction de rendre à la communauté ce qu’elle lui a donnée par pur hasard.

Demain à l’aube ils partiront…

 

NJA


Le prince et sa constitution

2015, après 5 années d’émergence, le prince se présente à nouveau face au peuple pour solliciter ses suffrages. Ce soir d’octobre 2015 le prince était plébiscité par le peuple pour un deuxième mandat. Comme au temps du parti unique, un seul tour aura suffi au prince pour convaincre les habitants de la terre d’Eburnie. Cette victoire semble confirmer l’aura du prince. Fort de sa réélection, le prince va entamer son plus grand chantier : proposer une nouvelle constitution à son peuple.

Rappel historique n°1 : Lorsqu’il se présente devant la représentation nationale ce 5 octobre 2016, le prince est le 3ième président à tenir un discours devant les représentants du peuple. Avant lui, le 22 décembre 1999, un de ses prédécesseurs s’était lui aussi présenté devant les parlementaires. Le prince vit alors en exil et nombre de ses partisans croupissent en prison. Deux jours après ce discours, les jeunes gens balayeront le pouvoir en place. C’est à partir de cette date que les habitants d’Eburnie oubliront  la signification du mot « Paix ».

Août 2000, lorsque la constitution de la 2ieme République est votée, elle porte en elle les germes du conflit qui éclatera deux ans plus tard. 16 ans plus tard, l’idée d’établir une nouvelle constitution n’est pas absurde ou dénuée de sens. La promesse du prince de rassembler son peuple pour essayer d’apprendre des erreurs du passé et définir ensemble un nouveau cadre institutionnel ne peut qu’être saluée.

Mais l’avant projet présenté par le prince est un texte  élaboré en tenant à l’écart du processus de réflexion toutes les composantes de la nation. Aucun débat de fond n’a été organisé pour définir de manière collégiale les orientations communes à donner à cette nouvelle constitution. Le prince gouverne seul. Après avoir soumis son avant projet aux députés qui l’ont approuvé à la majorité, Il reviendra donc au peuple de décider de l’avenir de cette nouvelle constitution.

Le peuple qui s’apprête à voter pour cette constitution voit toujours ses fils mourir dans les geôles d’un pouvoir qui n’a de démocratique que le nom. Ce peuple voit toujours ses frères mourir en exil. Ce peuple subit toujours la corruption des élites dirigeantes et ploie encore sous le poids d’une économie moribonde. La jeunesse qui s’apprête à se rendre aux urnes pour décider des principes qui vont régir son avenir, se voit toujours privée d’espérance. Elle s’entasse toujours dans des amphithéâtres bondés ou trainent aux abords des grandes artères, attendant qu’un jour la chance ou la providence se penche sur son sort.

Le pouvoir qui s’apprête à faire voter cette nouvelle constitution est un pouvoir décrié dont la légitimité pose question. C’est ce pays en proie à de réelles divisions internes qui  va devoir redéfinir sans avoir été concerté les règles de son vivre ensemble. Le prince ne le sait peut-être pas mais « si tu fais quelque chose pour nous mais sans nous alors tu le fais contre nous ».

Rappel historique n°2 : Le 2 juillet 1998, le parlement d’Eburnie adopte une révision constitutionnelle qui allonge la durée du mandat présidentiel à 7 ans et entérine la création d’un sénat dont 1/3 des membres est  nommé par le président. Cette révision, qui renforce  considérablement le pouvoir présidentiel, disparaît avec son initiateur lors du coup d’état du Général le 24 décembre 1999. Pour s’opposer à cette révision constitutionnelle qu’il jugeait anti-démocratique, le prisonnier le plus célèbre d’Eburnie avait à l’époque fait sortir des dizaines de milliers de personne dans les rues pour manifester contre ce projet.

Le texte qui sera soumis au vote du peuple est un texte qui fait émerger une toute nouvelle organisation institutionnelle. Désormais, le prince sera suppléé dans sa gestion du pouvoir par un vice-président élu en même temps que lui sous forme d’un ticket. Cette nouvelle disposition ressemble à un artifice tant les attributions de ce vice président restent difficiles à cerner. Tandis que dans la précédente constitution le président de l’assemblée nationale était le dauphin constitutionnel du prince, ce statut échoie désormais au vice président. Le prince va aller plus loin. Grâce à l’Article 179, le prince pourra nommer le premier vice président, ce qui aura pour conséquence de créer une situation inédite où le dauphin constitutionnel ne sera investi d’aucune légitimité démocratique. La particularité de l’Article 179 réside dans son caractère unique : il ne sera utilisé qu’une seule fois, lors de la promulgation de cette nouvelle constitution.

L’autre disposition majeure qui redéfinit le schéma institutionnel est la création par le prince d’une deuxième chambre au parlement : le sénat. Le pouvoir législatif sera désormais partagé entre deux  chambres : l’assemblée nationale et le sénat. Depuis son indépendance l’assemblée nationale d’Eburnie, censée être le poumon du débat démocratique s’est toujours fait l’écho de la voix des princes. Mettre en place un sénat au sein duquel 1/3 des membres seront nommés par le prince, sans avoir au préalable instauré une culture du débat démocratique au sein de l’assemblée nationale revient en vérité à créer un organe fantoche du parlement.

Rappel historique n°3 : Au cours de la campagne pour le referendum sur la constitution en 2000, l’éligibilité des candidats était au cœur des débats avec notamment la question du « et » et du « ou ». L’Article 35 au sujet des conditions d’éligibilité stipule alors que « Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus. Il doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine ». A cette époque le prince, qui était suspecté de s’être prévalu d’une autre nationalité, avait appelé à voter « oui » au référendum. 16 ans plus tard le prince se ravise. Voici ce que stipule l’Article 55 de sa nouvelle constitution « Le candidat à l’élection présidentielle doit jouir de ses droits civils et politiques et doit être âgé de trente-cinq ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine. »

Cette nouvelle constitution voulue par le prince est avant tout le symbole du caractère autocratique de son pouvoir. Censée être l’émanation du peuple, ce projet constitutionnel a été rédigé sous ordres du prince par un comité d’experts à sa solde. L’assemblée nationale en donnant son approbation à ce texte et en n’y apportant aucune modification n’a fait que valider un nouveau système institutionnel au sein duquel tous les pouvoirs seront entre les mains du prince et où la notion d’indépendance et d’équilibre des pouvoirs relèvera du mythe.

Le prince est détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Il choisi son vice-président qui est le dauphin constitutionnel ; il nomme le chef de gouvernement ; et il étend son pouvoir au sein du pouvoir législatif en nommant 1/3 des sénateurs. Le président de la cour suprême, le président du conseil suprême de la magistrature, le président de la cour de comptes, tous son nommées par le prince. Pour finir, l’Article 177 vient clore tous les débats « Toutefois, le projet ou la proposition de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement. Dans ce cas, le projet ou la proposition de révision n’est adopté que s’il réunit la majorité des deux tiers des membres du Congrès effectivement en fonction. »

Rappel historique n°4 : Dès le début des années 80, les tensions entre autochtones et migrants sur la question du foncier dans la zone forestière se multiplient. Pour tenter de trouver une solution à ces conflits, le législateur vote la loi du 23 décembre 1998.  Cette loi a  pour objectif de valider la propriété issue du droit coutumier par un certificat foncier établi par les autorités administratives. Cette loi stipule également que seul l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à être propriétaires de la terre. La crise qui débutera en décembre 1999 va retarder la mise en œuvre de cette loi. En 2016 la nouvelle constitution du prince intègre cette disposition de la loi de décembre 1998 au texte constitutionnel. Article 12 : « Seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale. Les droits acquis sont garantis. »

Tout n’est pas à proscrire dans cette nouvelle constitution, l’Article 22 qui stipule qu’aucun ivoirien ne doit être contraint à l’exil qui existait déjà dans la constitution précédente fait parti des dispositions que le prince se doit de respecter. L’instauration d’un conseil des chefs traditionnels qui, même avec des attributions flous, reste une avancée dans la reconnaissance des dynamiques de pouvoir qui traversent cette nation. L’Article 26 donne un statut à la société civile et représente une occasion pour celle-ci de s’ériger en véritable contre pouvoir. En définitive, Les questions, les doutes, et les réticences que soulève cette constitution se situent plus au niveau des pouvoirs accordés au prince et à la nouvelle structure institutionnelle qu’au niveau des principes et des valeurs qu’elle met en d’avant.

Une constitution se doit d’être rédigée au delà des contingences politiciennes. Elle ne doit pas répondre aux urgences du moment et encore moins représenter un texte de circonstance pour servir une quelconque ambition. Elle doit épouser la volonté du peuple et s’inscrire dans une dynamique d’évolution et de progrès. Une constitution ne peut être utilisée  par un dirigeant comme une arme politique. Elle doit être pérenne, fédérer autour d’elle toute la communauté nationale et n’en exclure aucune partie.

NJA


Le Vacarme du silence

En attendant l’émergence tant espérée, la Côte d’Ivoire se terre dans le silence. Plus aucun bruit, rien ne doit enrayer la mécanique. On se tait. Le bruit, le vacarme des jours passés nous hantent et le silence aujourd’hui nous rassure. Dans cette Côte d’Ivoire muette, deux silences cohabitent sans se voir et s’entendre.

Le silence triste d’une Côte d’Ivoire majoritaire qui continue de lutter pour vivre une vie décente. Son silence la rend invisible. La faim, la misère, les difficultés du quotidien restent le dénominateur commun de cette Côte d’Ivoire. Trop préoccupée à survivre, elle ne bronche plus, n’arrive plus à crier son désarroi. Après 10 ans de crise, fatiguée, épuisée, éreintée et durement touchée, seule, elle panse ses plaies et prend le temps de cicatriser. Fataliste, elle ne croit plus aux promesses ; l’émergence reste pour elle un mirage. Fatiguée de mourir pour des enjeux qu’elle ne maîtrise pas et trop longtemps utilisée comme variable d’ajustement, désormais cette Côte d’Ivoire aura pour seule arme son silence.

Le silence assourdissant d’une Côte d’ivoire minoritaire qui semble être la seule bénéficiaire de l’émergence. Elle est le symbole de cette nouvelle Côte d’Ivoire, on la voit et l’entend partout. Son silence lui donne l’illusion d’être majoritaire. Trop Heureuse de jouir toute seule des fruits d’une Côte d’Ivoire retrouvée, elle a aussi perdu sa voix. Elle préfère se taire, elle ne sait plus contredire car trop occupée à conserver ses privilèges et trop effrayée à l’idée de les perdre. Son silence par moment reste incompréhensible mais bien réel. Après 10 ans de crise elle réclame aussi le droit de se reposer, mais en oubliant ses devoirs. Cette Côte d’Ivoire semble avoir gagné la guerre du silence.

Dans cette collusion de silences, la Côte d’Ivoire se perd sans s’être déjà trouvée. Aujourd’hui, comme en France, les Ivoiriens font leurs courses à Carrefour, achètent leurs vêtements à la Halle, mangent au Burger King, font  la queue à la FNAC pour le dernier livre de Marc Levy payent leur forfait téléphonique à Orange et regardent la Champions League sur Canal +. Voici le chemin sur lequel le silence nous conduit, la Côte d’Ivoire n’est plus qu’une pâle copie de son ancien colonisateur.

Dans cette Côte d’Ivoire muette, tous ont perdu leur voix. Plus personne pour critiquer ou pour questionner avec pertinence cette vision de la Côte d’Ivoire que l’on nous propose. Les élites intellectuelles semblent avoir démissionné ou sont tout simplement inaudibles. Le pouvoir politique est sans idéologie et les partis d’opposition n’ont eux aucun fondement théorique. Les grandes questions sur le modèle de société, sur le système éducatif, sur la politique monétaire, sur la stratégie économique sont absentes du débat ou pas assez présentes. La Côte d’Ivoire se construit sans base idéologique, la Côte d’Ivoire se construit sans ligne directrice, sans que les élites intellectuelles ne s’en offusquent. On se tait car on apprécie mieux l’émergence dans le silence.

 Toutes les institutions « démocratiques » sont inféodées au pouvoir en place et, par souci de conservation, préfèrent se taire. L’assemblée nationale, principal pilier du débat démocratique, ne débat plus, mais enregistre, n’interroge plus, mais obéit silencieusement. Les partis d’opposition censés apporter la contradiction nécessaire à la vie « démocratique » ne jouent plus leur rôle. La presse quant à elle manque trop souvent d’objectivité et de rigueur. Les syndicats sont quant à eux à la recherche de leur passé. La société civile reste trop peu organisée pour pouvoir être entendue.

En Côte d’Ivoire, les contre-pouvoirs se taisent ou parlent trop faiblement pour être entendu, perpétuant ainsi  la dynamique du silence. Qui pour soulever les questions sur la pertinence de la réforme constitutionnelle ou pour prendre la défense des commerçants locaux face à la grande distribution ? Qui pour questionner l’Etat sur la mise en place effective de l’école obligatoire ? Qui pour soulever la question toujours épineuse du foncier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ? Le silence est aujourd’hui le seul leader d’opinion et le seul contre-pouvoir.

Triste ou assourdissant, le silence doit être rompu pour ne pas subir demain. Sortir de ce mutisme, critiquer, s’insurger, questionner et agir sur le terrain pour éviter d’être condamné par le silence.

NJA